Les Enfants, Autrement...

 

 

 

 

Aujourd’hui c’est la rentrée, mon tout premier jour. Je suis arrivée la première, un bon quart d’heure à l’avance, et malgré la réunion de préparation de la semaine dernière je me sens un peu intimidée. Je sais, c’est idiot, mais c’est une première pour moi et je me demande bien comment ça va se passer. La responsable m’accueille gentiment, me fait signer la feuille d’émargement, m’accompagne jusqu’à la grande salle de réunion tout au bout d’un long couloir au fond à droite, puis elle disparaît aussitôt après m’avoir proposé de m’installer là, en attendant qu’ils arrivent. Ils ? Ah oui, excusez-moi : les enfants de l’école d’à côté, ceux qui sont un petit peu en difficulté scolaire et que je vais rencontrer ce soir pour la toute première fois.

Car oui, figurez-vous qu’avant l’été, emportée par un élan d’enthousiasme, j’ai répondu présente à l’appel du Centre social de mon quartier qui réclamait d’urgence des bénévoles pour la rentrée. « Un bénévole pour un enfant, qu’ils disaient. Plus vous serez nombreux, et plus on pourra en accompagner ! » Il n’en a pas fallu plus pour m’encourager à m’inscrire. Vous me direz, les enfants en difficulté je connais déjà, pas de quoi être impressionnée. Oui c’est vrai, mais c’était dans le domaine du soin, pas de la scolarité, même si parfois les deux se chevauchaient. Alors depuis deux ans que je ne travaille plus auprès d’eux, c’est bête mais c’est presque comme si je me présentais pour un nouveau job. N’importe quoi, Emcy...

Je connais déjà cette grande salle : c’est celle où se tient l’atelier d’écriture du mardi auquel je me suis inscrite aussi pour cette année. Mais ce soir c’est différent, je ne suis pas là pour moi et je ne sais pas trop ce qui m’attend. Perdue dans mes pensées à examiner un détail au plafond je sursaute : « Eh ben, vous avez dû redoubler souvent, vous ! me lance en rigolant un grand bonhomme d’une soixantaine d’années, le nez souligné d’une énorme moustache blanche, impeccablement taillée. Le ton est donné ! Bonjour, j’m’appelle Julien ! J’suis bénévole ici depuis quelques années. Vous êtes nouvelle ? » L’entrée en trombe de trois gamins joyeux me laisse à peine le temps de lui répondre « oui ». À l’évidence, ces trois-là connaissent déjà les lieux et semblent ravis de se retrouver là.

D’autres gamins et d’autres bénévoles arrivent presque en même temps et s’installent. Une petite fille métisse de huit ans, peut-être neuf, reste plantée dans l’encadrement de la porte. Son cartable paraît bien trop lourd pour elle, elle semble un peu perdue et ses grands yeux inquiets bordés de longs cils noirs examinent les lieux. Apparemment c’est une première pour elle aussi. La responsable l’invite à entrer, à prendre un goûter et à s’asseoir. Spontanément, elle vient s’installer à côté de moi et avale avec gourmandise le petit pain au chocolat et le verre de jus d’orange qu’elle a choisis.

Nous voilà donc une bonne vingtaine dans la salle, moitié adultes, moitié enfants. La responsable fait l’appel des enfants, vérifie aussi que tous les bénévoles attendus sont bien là, souhaite la bienvenue à tout ce petit monde, nous rappelle quelques règles de bon fonctionnement et annonce enfin les binômes adulte-enfant, ainsi que les salles dans lesquelles nous devons nous rendre pour faire les devoirs. Et bingo ! mon binôme est la fillette aux yeux de biche, chouette !

La petite ouvre son cahier de textes et mes craintes sont vite oubliées en constatant que je suis encore à peu près au niveau du programme de mathématiques de CM1 : ranger des nombres par ordre croissant, en écrire d’autres en toutes lettres, revoir la règle du « Je mets un ‘s’ à ‘cent’ et à ‘quatre-vingt’ s’il n’y a rien après ». Ensuite un peu de français : trouver des mots contraires, en retrouver d’autres dans un jeu de « mots mêlés », et aussi un peu de lecture à haute voix. Et enfin l’anglais, avec quelques mots à réviser. Ma petite écolière est douée, ses devoirs bien vite terminés, et au moment de remplir sa fiche, quand je lui demande comment elle se sent à la fin de cette première séance, elle me répond tout de go : « Très bien ! Terminé ! Comme ça demain (mercredi) je pourrai regarder la télé ! »

Eh bien moi aussi : très bien ! Quelle joie de retrouver les enfants ! Vivement la semaine prochaine ! 😊💕