Mon Métier d'Infirmière en MECS







J'ai créé ce blog pour vous raconter, avec humour souvent, avec tendresse toujours, mes petites aventures d'infirmière en MECS (Maison d'Enfants à Caractère Social) auprès d'enfants placés par la Justice, dans le cadre de la Protection de l'Enfance. Car je constate souvent que ce métier​ d'infirmière​​ un peu particulier​ est hélas méconnu​ : moi-même je n'en avais jamais entendu parler durant mes 3 années et quelques de formation avant d'y être recrutée, presque par hasard...
D'ailleurs le recrutement d'infirmières dans ce secteur est de plus en plus rare, et je crains fort que lorsque je partirai en retraite dans quelques années, je ne serai pas remplacée. La prise en charge des soins des enfants passera probablement dans le domaine de compétences des éducateurs, qui feront de leur mieux j'en suis certaine, mais sans réelle formation médicale de base, ce qui risque fort de leur manquer, je le crains...
Ce n'est pas qu'il n'y ait pas de besoins dans ce secteur, non non, bien au contraire ! Le problème n'est pas là... Mais depuis des années, je suis la seule infirmière à temps plein et je suis chargée de veiller sur la santé d'une petite centaine de jeunes (oui oui, j'ai bien dit 100), répartis sur 4 internats et 2 accueils de jour. Mission impossible, dites-vous ? En tout cas vous avez raison, c'est largement insuffisant pour s'occuper correctement de chaque enfant, on est bien d'accord. Il y a même des enfants que je ne vois presque jamais​ faute de temps, alors qu'on sait très bien que les plus silencieux ne sont pas forcément ceux qui ont le moins besoin d'aide... 
Allez, soyons positifs : une infirmière pour 100 ce n'est pas si mal, quand on sait que tant d'associations n'ont déjà plus d'infirmière du tout.
Comme partout dans le secteur du Social, on le sait bien, les budgets fondent comme neige au soleil et le financement des services de l'Aide Sociale à l'Enfance passe loin derrière le financement du RSA ou celui de la Vieillesse. Les postes d'infirmière en MECS ne sont donc pas une priorité parmi les métiers à sauvegarder, et mes collègues retraitées sont hélas de moins en moins remplacés.

Alors ​comme le petit colibri de Pierre Rabbi, ​je fais mon possible, jour après jour, pour prendre soin de ces enfants qui nous sont confiés. Mais pour mieux vous aider à comprendre mon métier si particulier, laissez-moi vous présenter quelques-unes de ses facettes :

Il faut savoir que l'infirmière de MECS est une espèce d'infirmière assez bizarre et relativement inclassable. Un peu comme l'hydre à sept têtes d'Hercule : on sait vaguement que ça existe, mais on ne sait pas trop à quoi ça sert, ni comment ça fonctionne.
On lui suggère vivement - mais sans lui fournir le mode d'emploi, ça serait trop facile - d'avoir des qualités, des talents et des savoir-faire innés, multiples et variés.
Elle devra tout à la fois être capable de jongler entre le secret médical et le secret partagé, être dotée d'un don de clairvoyance ultralucide certain, et s'efforcer, dans la mesure du possible, d'acquérir celui d'ubiquité, afin de pouvoir être partout à la fois, et au minimum là où on a besoin d'elle dans l'instant : par exemple en réunion ET chez le dentiste avec un enfant.
Pour lui permettre de mener à bien la tâche qui lui sera confiée, il est souhaitable que l'infirmière de MECS soit dotée de nerfs en acier galvanisé, qu'elle possède un ordinateur en guise de cerveau (mais elle pourra, si ça la rassure, s'aider d'un agenda papier - ​oh que ​oui, que ça me rassure !​).
Il faudra également qu'elle arbore, quoi qu'il arrive, un sourire Ultra Brite à toute épreuve. Vous savez ? Celui qui fait ***schtinggg !*** avec une rose entre les dents !
Qu'elle arrive avec un solide réseau déjà constitué de professionnels compréhensifs et bienveillants pour les enfants (parfois difficiles) accueillis sera évidemment hautement apprécié.
Qu'elle soit en plus une sorte de compression artistique de Marie Poppyns, Mac Gyver et Joséphine Ange Gardien sera incontestablement un plus pour palier à toutes les difficultés qu'elle pourra rencontrer au cours de sa mission.

Bien sûr, elle travaillera en collaboration avec les différentes équipes éducatives et sera la référente médicale de la structure, étant donné qu'il n'y a pas de médecin salarié dans l'établissement - mais du coup, on oublie tous les soins purement "techniques", puisque justement il n'y a pas de médecin qui pourrait prendre la responsabilité des actes médicaux délégués à l'infirmière, ne fût-ce que pour faire un simple rappel de vaccin (les médecins généralistes de ville sont un peu frileux pour prendre à leur compte cette responsabilité-là)... Ce qui fait qu'on m'a souvent observée d'un oeil un peu sceptique, un sourcil relevé, le front plissé et le menton dans la main, un peu comme si j'étais une espèce de sous-infirmière quelque peu suspecte. Et d'ailleurs, avais-je seulement un vrai diplôme d'infirmière, puisque je ne faisais ni piqûres, ni prises de sang ?! (je vous jure que j'ai eu la question !) (sourire à toute épreuve.)
L'infirmière de MECS est également une secrétaire médicale hors pair, chargée d'organiser tous les rendez-vous médicaux dont les enfants ont besoin : bilan d'accueil chez le généraliste, dentiste, orthodontiste, ophtalmo et tout un tas d'autres spécialistes en -iste ou en -logue  que vous pouvez imaginer, en fonction des besoins. La veille de chaque rendez-vous (qu'elle aura pourtant déjà pris la peine de confirmer par mail, puis de noter dans l'agenda du service), elle devra penser à téléphoner pour le rappeler aux éducateurs, faute de quoi il sera possible que l'enfant soit déjà parti à l'école quand elle viendra le chercher (oups ! on n'a pas eu le temps de lire l'agenda ce matin...). Du coup, le rendez-vous prévu sera manqué, et donc il faudra recommencer toute l'opération depuis le début pour le réorganiser. (Sourire à toute épreuve... avec des envies de croquer).
Alors, afin de maintenir la confiance de son super réseau de professionnels (absolument indispensable mais qui reste toujours fragile), réseau qu'elle a bravement tissé tout au long des années, elle devra humblement présenter ses excuses au spécialiste concerné (alors qu'elle n'y est pour rien) et devra parfois lui faire les yeux doux et une tête de cocker pour lui expliquer, le convaincre, et lui promettre que ça ne se reproduira plus, afin obtenir un nouveau rendez-vous : croix de bois, croix de fer, si je mens je me transforme en sorcière !
Dès qu'elle aura un peu de temps libre (sourire à toute épreuve, schtinggg***, schtinggg***, schtinggg***), elle rédigera des comptes-rendus à tour de bras, qu'elle transmettra par mail à qui de droit et qu'elle classera dans les dossiers médicaux des jeunes, dossiers qu'elle tiendra à jour à l'infirmerie (difficilement, je l'avoue).
Elle informera les parents à chaque fois qu'elle le pourra, contactera l'infirmière scolaire pour faire le lien et expliquer les absences, vérifiera les dates de fin de droits de CMU des enfants, réclamera les nouvelles attestations auprès de la sécu ou des services de l'ASE - mais les secrétaires de l'ASE sont rarement joignables, alors il faudra qu'elle pense à la rappeler plusieurs fois.
L'infirmière de MECS aura donc également dans son bureau un ordinateur constellé de petits post-it, aussi multicolores que superposés (en plus de son agenda papier qui pèse trois kilos et qu'elle emporte partout dans son grand sac - pensée émue pour mon épaule droite qui s'épuise).

Dans certaines situations plus ardues, elle enfilera sa cape de super-négociatrice, capable de convaincre les professionnels de santé les plus récalcitrants de prendre en charge ce jeune, qui a besoin de soins mais pas encore de carte vitale : "Ah... pas de carte vitale ? Vous avez une... quoi ?... attestation CMU ? Pfff... c'est vraiment très désagréable madame, ça va encore m'obliger à faire de la paperasse tout ça, et franchement j'ai autre chose à faire !" Mais depuis le temps qu'elle tisse son petit réseau, cette situation sera heureusement plutôt exceptionnelle...

Elle sera bien sûr chauffeur de taxi, car c'est souvent elle-même qui accompagnera les enfants aux rendez-vous qu'elle aura programmés - mais encore faudra-t-il qu'il y ait un véhicule de service disponible lorsqu'elle arrivera (et ses nerfs d'acier seront encore mis à rude épreuve).
Tout en restant à sa place de soignante, elle sera souvent une sorte de "parent de substitution", surtout lorsque - pour un tas de raisons qu'il ne nous appartient pas de juger - les parents ne sont pas présents à ces rendez-vous médicaux (ce qui arrive presque tout le temps). Et non, qu'on se le dise : un ​simple bilan bucco-dentaire ​chez le dentiste n'est pas un long fleuve tranquille et pourra même rapidement se transformer en carnage si l'on n'y prend garde. D'où l'importance d'avoir tissé au fil du temps un réseau en béton armé avec des professionnels compréhensifs et bienveillants. Je vous assure : ça aide. Beaucoup.

Elle sera évidemment repérée comme éducatrice à la Santé, individuellement ou en petits groupes, un peu comme l'est une infirmière scolaire : pour l'hygiène corporelle, le brossage des dents, mais aussi les petits conseils concernant l'alimentation, ou les questions concernant la vie affective et sexuelle. Et souvent elle constatera que les choses les plus simples sont mal apprises, ou mal comprises, en tout cas à revoir d'urgence depuis le début.
Chaque jour, elle s'efforcera de dispenser des conseils de bon sens, aux petits comme aux grands. Et non, chers collègues : le SHA (la fameuse solution hydroalcoolique) n'est pas forcément indispensable ici, on n'est pas à l'hôpital ! Si déjà chacun pouvait penser à bien se laver les mains en rentrant de l'école, en sortant des toilettes ou juste avant de passer à table, on ferait déjà un grand pas en avant sur cette question de l'hygiène et de lutte contre les microbes en collectivité . Et je ne vous parlerai pas ici des problèmes de bébettes qui grattent dans les cheveux (sourire etc... enfin vous savez).
Elle sera ​également promue ​gestionnaire de stock pour les différentes structures, préposée aux achats du matériel de base pour soigner les petits bobos quotidiens, chargée du tri régulier et du rangement des armoires à pharmacie, proclamée responsable de la préparation des trousses de camps. Accessoirement, entre deux rendez-vous, elle assurera aussi un nombre impressionnant d'allers-retours chez l'opticien pour faire réparer des lunettes cassées, ce qui arrive... tout le temps.

Elle se devra évidemment de comprendre le lien invisible qui s'est tissé entre le "psycho" et le somato" de ces enfants, souvent abîmés par la vie, toujours en souffrance psycho-affective. Et non, braves gens, je vous l'affirme : un enfant de 12 ans ne fait pas forcément exprès de faire pipi au lit, juste pour embêter son monde.
Et d'avoir parfois une pensée émue pour ma prof de psy de l'école d'infirmière, qui aimait tant nous répéter : "Surtout, n'oubliez jamais que nous sommes des êtres psycho/somatiques, et qu'en tant que soignant, il nous faut tenir compte du psycho autant que du somato". Je ne l'oublie pas, chère Prof, je vous assure...

Elle sera aussi le maillon qui fera le lien entre les infirmières scolaires, les orthophonistes et autres CMP, et elle tiendra le médecin traitant informé des difficultés que l'enfant rencontre à l'école pour l'aider lui aussi à ​améliorer la​ prise en charge,​ dans la mesure du possible.
Elle sera bien sûr une généreuse distributrice de paroles réconfortantes et de câlins, pour consoler le gros chagrin du jour parce que maman n'est pas venue, ou pour apaiser une colère incontrôlable chez ce bout de chou, qui ne connaît pas d'autre forme de communication et ne sait pas s'exprimer autrement qu'en faisant ce qu'on appelle une "crise".

Voyez-vous chers lecteurs, une infirmière de MECS, c'est un peu tout cela. Et pour autant, la liste est loin d'être exhaustive...

C'est un métier si riche et tellement passionnant ! Les journées bien remplies se suivent mais ne se ressemblent jamais, et depuis plus de 14 ans je ne m'en lasse toujours pas. Mais ce métier est méconnu, méprisé, incompris. Dommage... 
Et comme l'infirmière de MECS n'est ni éducateur ni cadre et qu'elle ne rentre dans aucune case, il arrive même parfois qu'elle soit carrément oubliée. Alors je vous entends déjà : "Quoi ? Comment ? Mais non voyons, qu'est-ce qu'elle raconte ?" Si si, je vous assure : c'est possible.
Il faut donc batailler, chaque jour, tout le temps, sans cesse, pour rappeler qu'on est là, qu'on existe, qu'on est peut-être utile, qui sait ? Allez, un peu, quand-même... non ?
Il faut râler un peu, beaucoup, passionnément, pour se faire entendre (tant pis, ma réputation est faite)... pour obtenir une formation (aucune en ce qui me concerne depuis plus de 4 ans, malgré mes nombreuses demandes)... pour obtenir juste une réponse, qu'on attend depuis longtemps mais qui n'arrive toujours pas (bon, alors quoi : c'est oui ou c'est non ?)... pour décrocher un budget de quelques euros, quasiment inexistant sur les lignes comptables (mais où est donc passée la ligne "infirmerie" ?!) afin d'animer un petit atelier pour les enfants...
Les nerfs d'acier seront, là encore, bien utiles. Oui oui, le sourire à toute épreuve aussi.

Je rêverais d'avoir un double, une sorte d'avatar, une "Emcybis", qui pourrait me seconder, pour avoir enfin l'impression d'avoir le temps de tout faire sans rien négliger, pour ne plus ressentir ce sentiment désagréable d'être juste le "pompier de service", qui court partout et qui s'épuise, à essayer d'éteindre des feux de broussailles ou des incendies plus larges avec un petit verre d'eau - même si, en adepte convaincue de la "légende du colibri" de Pierre Rabbi, je fais de mon mieux, à mon niveau, pour "faire ma part", comme je le peux, avec les moyens que j'ai. Mais l'avatar n'est pas prévu dans le contrat de travail.

Oui, c'est vrai : j'ai régulièrement des journées à rallonge. Mais pour un bobo de dernière minute, un secret très urgent à me dire (alors que j'ai déjà mon manteau sur le dos) ou un câlin qui ne peut pas attendre demain (parce qu'un câlin ne peut jamais attendre demain : un câlin c'est tout de suite, parce que demain c'est trop tard), je reste volontiers disponible, même si ça me fait rentrer chez moi un peu plus tard que prévu. Parfois je suis satisfaite de la tâche accomplie, parfois je suis enragée contre une décision administrative dont le sens m'échappe, parfois j'ai le coeur lourd de n'avoir pas pu prendre le temps de soigner cette blessure invisible, là, tout au fond d'un petit coeur d'enfant. Mais je me console, en me disant qu'aujourd'hui j'ai fait de mon mieux, et que demain je ferai la même chose. Parce que c'est important et précieux de pouvoir prendre le temps.

Alors, pour me rendre ce quotidien un peu plus léger, j'ai décidé que le petit truc chouette de la journée, celui qui m'a fait sourire un instant, ou rire de bon coeur, qui m'a parfois émue, ce petit truc chouette-là, il fallait que je le garde précieusement quelque part.
Pour le raconter à ceux qui ne connaissent pas ce métier, ou qui ne le comprennent pas, et qui me disent, dubitatifs : "Mais comment tu fais ? C'est trop dur ! Moi je ne pourrais pas faire ce travail-là !" Mais si. On peut. Je vous assure.
Mais aussi pour moi. Pour ne pas oublier ces petits instants magiques qui vous illuminent une journée parfois un peu trop sombre. Car le temps passe et file tellement vite ! Et quand un jour, par hasard, on se souvient vaguement d'un joli moment, mais qu'on se dit : "Ah oui, c'est vrai... Il s'appelait comment déjà ? C'était qui ? C'était où ?", on se dit que c'est vraiment dommage de ne pas l'avoir écrit et de ne plus bien s'en souvenir, déjà...
Parce que ces moments-là, c'est la petite pointe de sel sur le bout de la langue. C'est la cerise confite sur le baba au rhum. C'est la crème chantilly sur le chocolat chaud... C'est ce qui me donne tous les jours depuis 14 ans l'envie de me lever le matin, même quand je sais déjà que la journée promet d'être rude.

Venez, entrez, je vous en prie, faites comme chez vous ! Asseyez-vous donc, et prenez un peu de temps pour découvrir mes petites histoires d'infirmière en MECS. Entrez dans le Petit Blog d'Emcy, et laissez-moi vous présenter ces enfants tellement attachants ! Partagez avec moi ces petits trucs chouettes, ces petits moments magiques, ces petites pointes de sel sur le bout de la langue, qui donnent cette saveur unique à mon métier ! Vous verrez : ça fait du bien au moral et au coeur, je vous assure.
Et si vous ne le connaissiez pas encore, j​'espère vous faire découvrir ce bizarre métier d'infirmière qui est le mien.

Je vous souhaite​ une agréable promenade au fil du Petit Blog d'Emcy.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Un Mammouth d'Amitié

Un Petit Bonhomme Bien Encombrant...