Déconfinement...




« Garde cette chance, Que nous t'envions en silence, Cette force de penser que le plus beau reste à venir… »

(Puisque tu pars, Jean-Jacques Goldman)



Ma Chère Babi,

C’est avec beaucoup d’émotion que je t’écris ce matin pour t’annoncer une excellente nouvelle : le confinement est terminé ! Mais oui, tu as bien lu : enfin, ça y est ! Aussi incroyable que ça puisse paraître, depuis ce matin, plus besoin de mot d’excuse pour aller faire ses courses ou pour promener son chien, plus de sortie limitée à une heure maximum, plus d’interdiction de s’éloigner à plus d’un kilomètre de son domicile. On va enfin pouvoir sortir (mais pas à plus de 100 km à vol d’oiseau pour le moment) et retrouver nos enfants, et nos familles, et nos amis. Aujourd’hui : on déconfine !!! Quelle aventure… pourvu qu’elle ne se transforme pas en déconfiture.

C’est Doudou qui nous l’a annoncé officiellement à la télévision jeudi dernier, après avoir bien vérifié qu'on pouvait, et demandé l’avis de tous ses petits camarades de classe. Et quand Doudou dit quelque chose, c’est qu’il est sûr de lui, il assume et puis c’est tout. Sauf quand il se trompe, ou qu’il dit le contraire de ce qu’il a dit la veille - mais il paraît que c’est très rare. Je dois bien t’avouer que j’ai été un peu surprise par le style oratoire qu’il a choisi jeudi pour nous annoncer cette bonne nouvelle, à la manière d’une charade, comme pour le plaisir de maintenir un suspens déjà insoutenable. Après un coup d’oeil circulaire pour vérifier qu’on l’écoutait bien, il a pris solennellement la parole : « Mesdames et Messieurs… le Président de la République l’a confirmé… la levée progressive du confinement peut être engagée ce lundi 11 mai. Nous y sommes : il y a aujourd’hui une bonne nouvelle, et une moins bonne nouvelle… » Et ma petite voix - tu la connais, toujours au taquet - m’a soufflé à l’oreille : « Gnagnagna… et tu veux que je commence par laquelle ?! » sur un ton un poil impertinent et qui tirait la langue à Doudou. Tu me diras, derrière son masque, personne ne pouvait la voir.

Alors bon, c’est vrai que ce n’est pas encore tout à fait définitif : « … la levée progressive peut être engagée… » m’évoque plus une micheline poussive ravitaillée au charbon de bois, qu’un TGV qui fonctionnerait à l’énergie renouvelable de douze éoliennes. Pendant quelques semaines, nous serons donc encore, comme qui dirait, en liberté surveillée. On passe de l’ « assignation à domicile » à la « libération provisoire ». Et on continue à nous parler comme à des enfants, comme Jacques Dutronc dans sa chanson, tu te souviens ? « Fais pas ci, fais pas ça, à dada prout prout cadet, à cheval sur mon bidet, pas de promenades dans les parcs, dans les jardins non plus (en tout cas pas chez nous), mets ton masque touche pas ton nez, pas le droit d’installer ta serviette sur la plage, va bosser, pas de ciné, pas de resto pour te régaler… » (je parie que tu l’as lu en chantant, toi aussi). On verra ça dans deux-trois semaines… peut-être… si on est sages. Et encore… c’est pas sûr. Parce que le corona-machin-truc-chouette, ma Babi, il commence peut-être à se fatiguer un peu de nous courir après, mais il est toujours là, tapi dans l’ombre, prêt à contaminer le premier inconscient qui bougerait une oreille un peu trop vite sans y penser.

Je ne suis pas très sûre de bien comprendre toutes les obligations contradictoires et autres injonctions paradoxales dont on nous assomme depuis des semaines, mais rassure-toi, je ne vais pas rentrer dans les détails. Parce que sous prétexte d’une politique sanitaire, c’est surtout d’une politique économique dont il s’agit désormais, donc il faut déjà s’y connaître un petit peu pour pouvoir en parler, et je n’ai pas cette prétention. Et de toute façon, je sais que ça ne t’intéressera pas, parce que tu as toujours eu horreur de parler de politique, et tu as parfaitement raison. Mais si tu avais vu ça, ma Babi… Depuis des semaines, d’illustres inconnus, plus érudits les uns que les autres, ont soudain été touchés par la grâce divine et se sont tous transformés en scientifiques de haut vol du jour au lendemain. Abracadabra ! Les uns ayant un avis potentiel, les autres ayant potentiellement un avis, le défi pour chacun étant surtout de se faire connaître sur les plateaux confinés des chaînes à blabla de la boîte à images, afin de nous abreuver jusqu'à la nausée d’un langage pseudo-médical. Et c’est ainsi, au fil des jours, qu’on a appris des mots nouveaux : gel hydroalcoolique, quatorzaine, cas-contact… pic de pandémie, masques FFP1, P2, P3…, et même cluster et chloroquine. J’entends d’ici ton petit rire malicieux : qu’est-ce que tu dis ? Ah mais oui, bien sûr, tu as raison : c’est du chinois ! D’ailleurs, c’est bien là-bas que tout a commencé, et qu’une vilaine chauve-souris s’est mise à piquer du nez, pour faire des ronds dans l’air en battant des ailes tout de travers, avant de se crasher sur un certain pangolin (bestiole toute écaillée dont j’ignorais l’existence-même, jusqu'à ce qu'elle fasse son show aux infos) pour le contaminer. Mais c’est vrai que de ton joli nuage dans le ciel, tu dois avoir une vue d’ensemble, et je suppose que je ne t’apprends rien. Tiens, d’ailleurs : tu le savais toi, que l’anagramme de « chauve-souris » c’était « souche à virus » ? Mais c'est sûrement une coïncidence…

Tu as vu Babi : ce n’a pas toujours été facile, mais on a tenu bon, la Poilue, ma petite voix et moi. Même si cinquante-cinq jours, on a parfois trouvé ça long. Je dois reconnaître que cet arrêt sur image de la Vie est tombé pile au moment où j’avais besoin de réfléchir aux choses de ma vie. Dis Babi : ça serait pas toi qui aurais appuyé sur le bouton « pause », par hasard ? Je me demandais... J’ai eu des petits coups de blues, mais ça aurait pu être pire. Des jours avec des larmes, d’autres avec des fou-rires. Beaucoup de questions aussi, peu de réponses encore (mais ça viendra sûrement, avec le temps…). La Poilue m’a regardée passer, tantôt surprise, tantôt perplexe, de la cuisine au canapé, ou bien d’une chambre à l’autre, pour faire mes kilomètres (pas tous les jours, mais presque). On s’est soutenues entre copines (les sms, ça fait du bien), ma mère m’a fait refaire des maths, tu te rends compte ?! (il paraît même que je l’épate). J’ai testé le Do In, la méditation, la cohérence cardiaque, et des fois rien du tout quand j’avais pas envie. Ma petite voix s’est moquée de moi, souvent, mais c’était jamais bien méchant : faut bien garder le moral, même si c’est pour la gloire, et voir le verre bien plein plutôt qu’à moitié (co)vide, quand tout est dérisoire. Oui bon je sais, celle-là était facile, mais je t’entends rire quand-même. Je t'aime. J’ai applaudi presque chaque soir, à 20 heures, pour encourager les courageux. J’ai tricoté beaucoup, jusqu’à ce que je n'aie plus de laine. J’ai fait des coronapéros téléphoniques avec ma soeur, des apérosolos télévisuels avec Anne-Sophie Lapix, des fiestas boumboum avec, grâce, ou à cause de la voisine d’en face, tous les vendredis soir (et si ça se trouve, ça va me manquer). J’ai voyagé dans mon fauteuil, avec des livres magnifiques, j’ai visité l’Irlande, et puis Sarajevo, et même l’Alhabama. J’ai fait des mots fléchés, et puis de la cuisine. J’ai regardé des films, très beaux, qui m’ont fait rire ou bien pleurer, et hmmm... ! j’ai mangé un tas de guimauves au chocolat ! J’oublie, tant d’autres choses encore… mais j’ai pensé à toi Babi chérie, et j’ai compris ce que tu me disais, quand tu disais que tu ne t’ennuyais jamais : on trouve toujours à s’occuper, et le temps finit bien par passer, quand-même...

Et donc voilà, ça y est : le Confinement est mort, vive le Déconfinement ! J’ai découvert que ce mot-là n’existe même pas dans ton Petit Larousse (ta deuxième bible, après l’autre). On a dû l’inventer, tout exprès, pour l’occasion de cette situation incroyable, tout à fait invraisemblable, qu’on vient de traverser. 187 pays touchés dans le monde entier, la moitié de l’humanité obligée de se confiner, depuis des semaines, pour ne pas se contaminer : cette leçon vaut bien un néologisme, sans doute... Mais sois tranquille ma petite Babi : je parie que le Petit Larousse n’oubliera pas de rajouter ce mot nouveau à son édition de 2021 et de le mettre en bonne place, à la lettre D.

Merci ma Babi, merci d’avoir si bien veillé sur moi (et sur nous tous) pendant tout le temps de ce confinement. J’espère au moins que je t’aurai fait rire un peu, avec mes aventures et toutes les bêtises que j’ai pris plaisir à te raconter au fil de ces semaines bien singulières. Je vais essayer de m’habituer à cette nouvelle vie qui nous attend à présent : gestes barrière, distanciation physique, masques en papier, ou en tissu, je ne sais plus, je suis un peu perdue… Je ne sais pas encore si ça sera facile, ou pas facile, ou très compliqué. Mais ce que je sais, avec certitude, c’est que tu seras toujours là pour veiller sur moi, comme tu me l’avais promis, un jour de crêpes au sucre et de café bonnebonne. Alors, comme tu le dis toujours, je peux bien le dire aussi : Tout Va Bien.

Tu sais, je suis presque contente ma petite Babi, que tu n’aies pas eu à vivre cette mésaventure dans la tristesse de ta chambre de la maison de retraite. Pour sûr que ça t’aurait achevée, d’être privée de nos visites. Je ne cède pas souvent à la colère, mais là je le dis haut et fort : c’est carrément honteux d’avoir privé toutes ces personnes âgées des seuls liens à la Vie qui les font tenir en vie… Je ne l’aurais pas supporté non plus, alors heureusement que tu étais déjà partie faire ton Grand Voyage. J’espère que tu es heureuse, là-haut sur ton petit nuage, auprès de ton papa retrouvé... et du mien, qui a dû arriver. Fais-lui un baiser pour moi quand tu le verras, tu veux bien ?

Je t’aime, très fort. Je pense à toi, toujours. Je t’embrasse, de tout mon coeur. Tu me manques, beaucoup.

« Ciao, ciao… »

Ta Cricri


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Voilà voilà, c’est presque la fin de cette drôle d’aventure. Mais pas encore tout à fait… alors prenez bien soin de vous les amis. Soyez prudents, plus que jamais, et si vous le pouvez : SORTEZ MASQUÉ !

Merci de me lire, ça me touche énormément. Je vous dis à bientôt pour de nouvelles aventures.

En attendant je vous embrasse. Et je vous aime, bien sûr ! 😘💕

Emcy


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