Confinement.32




Vendredi 17 avril.

Confinement, jour 32.


Je suis triste. Aline est orpheline. Son papa est parti rejoindre Les Paradis Perdus avec Les Marionnettes, sûrement pour aller chanter des Mots Bleus à la Petite Fille du Soleil. Alors j’ai pleuré, pleuré, parce que j’avais trop de peine…




« Mais arrête de chialer merde, je supporte pas cette sensiblerie ! »

C’est ainsi que mon père m’engueulait quand j’étais petiote. Pas vraiment des mots bleus, c’est sûr. Mais bon. C’était sa façon à lui. Du coup, sans doute par pur esprit de contradiction rebelle, je suis devenue « eune breillousse », comme on dit chez nous. A moins que dans l’enfance, la dureté paternelle n’ait exacerbé à tout jamais mon hypersensibilité, déjà bien frappée depuis le jour de ma naissance. Va savoir. En tout cas, il ne me faut jamais grand-chose pour déclencher un dégât des eaux. Ca au moins, c’est un truc qui fonctionne très très bien chez moi. Particulièrement en ce moment, où tout me fait flipper. Comme hier soir, en regardant la fin de Sur La Route de Madison. Ou quand la voisine d’en face fait sa Fiesta Boum Boum le vendredi soir, en criant dans son micro à larsen « Allez les voisins, tout le monde les mains en l’air, et on dit merci aux soignaaants !!! ». Ou bien ce matin, en apprenant que la petite Aline se retrouve toute seule sur le sable, les yeux dans l’eau. Pauv’tiote… Snif.

Je dois bien reconnaître que depuis 32 jours, mes actions, réactions, émotions et autres trucs en -tions arrivent parfois me surprendre. Mais surtout, je commence à trouver le temps un peu long. Même si, honnêtement (je n’ai pas honte de le dire) je me sens très bien chez moi. Afin de ne pas trop culpabiliser, je me force donc à m’auto-persuader (oui, mieux vaut deux fois qu’une) que je suis beaucoup mieux enfermée ici, chez moi, dans mon appartement que j’adore, que dans une chambre d'hôpital sous 10 litres d'oxygène. Voire pire. Alors je me raisonne, et j'apprends à savourer la douceur de la lenteur. Je prends mon temps pour faire les choses. Je lis un peu. Je prends le soleil à ma fenêtre. J'écris un peu. Je marche un peu aussi (mais seulement quand j'ai quelqu'un au bout du fil, comme vous le savez). Je me prépare de bons petits plats. Je sélectionne soigneusement ce que je vais regarder à la télé. Ou pas. Et surtout pas les infos. Je m'autorise même une petite sieste de temps en temps, quel luxe ! Et les jours passent, plus ou moins semblables, mais toujours un peu différents quand-même. Je ne suis sortie qu'une seule fois pour faire des courses depuis le début du confinement et je n'ai toujours pas vu la tête d'un être humain de près depuis 32 jours (sauf bien sûr la caissière, le jour des courses). Mais allez, dans l'ensemble, ça va.

Bon. Ceci étant dit, il faut quand-même que je vous avoue un ou deux trucs bizarres. D’abord ça y est, je parle avec la Poilue, en faisant miaou-ou-ou comme elle. Oui, je sais, j’avais dit que je ne céderais pas. Mais si je veux communiquer un minimum avec cette crâneuse je dois m’adapter, bien obligée. Parce qu'elle n’a fait aucun progrès en français depuis le 16 mars ! C’est à désespérer... Et puis, autre truc bizarre, j’ai remarqué aussi que je me dis « Salut ça va, t’as bien dormi ? » le matin, quand je croise ma tête de mal coiffée à racines gris-blanches de 3 cm dans le miroir de la salle de bains. Et cette fois, je ne peux même pas dire que c'est de la faute de la petite voix dans ma tête, parce que c'est bien la mienne. Euh… c’est grave docteur ? Heureusement qu'il fait un temps absolument magnifique depuis un mois (non non, la météo n’est pas plus pourrie dans le Nord qu’ailleurs) et que tous les matins, je suis réveillée en douceur par les rayons du soleil qui viennent me chatouiller les trous de nez, ce qui me fait systématiquement éternuer. Heureusement donc : il fait beau. Parce que sinon, je pense que l'ambiance serait un chouia moins sympathique. Alors je ne me plains pas de mon sort. Il faut juste que je fasse encore un petit peu attention quand je regarde un film un peu trop romantique (en principe je ne pleure pas systématiquement à la fin, mais là oui). Ou quand j'explique à ma mère que non, je ne viendrai pas, tellement que j'ai la trouille de choper ce caca-boudin de virus (et là je pleure aussi, parce que je me sens moche, minable et inutile) (et dégonflée. Oui, aussi). Ou quand je gamberge pendant 3 jours avant de me décider enfin à descendre mes poubelles au sous-sol et vérifier ma boîte aux lettres (seulement 3 fois depuis le 16 mars), tellement je suis tétanisée à l'idée de prendre l'ascenseur et de ramasser des miasmes. Et là, ça devient carrément du grand n'importe quoi, on est bien d'accord. Mais ça va, je gère...

Tiens, au cas où je l'aurais oublié mon petit coeur de beurre à la confiture d'abricot est venu me rappeler mercredi soir pourquoi j'étais en rétention préventive à domicile sans bracelet électronique. Y'avait longtemps. Rien de grave rassurez-vous, juste une irrégularité dans les battements qui me donnent l'impression d'avoir deux coeurs au lieu d'un, genre le batteur de Metallica et celui d'ACDC qui jouent Highway to Hell, en même temps mais pas à la même cadence, voyez ? Ca me fait ça, parfois. Oui, c'est très désagréable (même si d'ordinaire j'apprécie beaucoup Highway to Hell...) mais c’est bien pour ça que j’ai un traitement, et askip' ça serait pas trop inquiétant. En tout cas d'après mon médicastre (mais comme on n'est plus très sûr de rien en ce moment, le doute massaï, comme on dit à Nairobi). Alors en général, ça se passe tout seul au bout de quelques heures et j'oublie. Mais bon, disons que c’est pas trop le moment et que je n'ai vraiment pas besoin de ça pour être angoissée, vu que je suis déjà en overdosage d'angoissage perpétuel. Alors salut Métallica, merci bien ACDC, à bientôt, mais faites-donc, mais je vous en prie, au revoir et à la prochaine ! Bref. Du coup, ma nuit de mercredi à jeudi était pas top top et un peu trop courte. En plus, pendant le peu que j’ai dormi j'ai fait un cauchemar, alors bon. Mais ça s’est calmé jeudi dans la matinée et mon petit coeur de beurre à la confiture d’abricot a repris son ronron habituel. Encore heureux. Non mais, c'est qui le patron. Tu vois, ça va quand-même...

Alors figurez-vous que pour me changer les idées du train-tain quotidien, j'ai tenté de me mettre à la guitare. Vous savez, celle que mon père m'a laissée il y a deux ans, quand il est parti préparer le terrain pour le papa d’Aline. Snif. Depuis le temps qu'elle me regarde, celle-là… (la guitare banane, pas Aline). Alors, je vais vous dire : les mecs là, avec leurs tutos internet, ils repasseront hein ! Non, parce que entre celui qui te parle meumeu et qui te prend pour une débile, et l'autre là, qui t'explique pendant 3/4 d'heure comment pourquoi et depuis quand lui, le barbu à crinière sauvage et chemise à carreaux rouge et noir de bûcheron canadien, il joue si merveilleusement bien de cet instrument tellement extraordinaire dont il fait ce qu'il veut (mais pas toi), en prenant tout son temps pour te faire une démonstration en prime, histoire de ne te laisser aucune chance et de mettre définitivement fin à ton embryon de vocation tardive, pendant que toi, pauvre cloche, tu te demandes encore, tout en l’écoutant religieusement, dans quel sens tu dois la tenir, cette p***** de guitare… Alors ça va bien, hein ! Bon. Pour l'accorder à l'oreille, va encore. Malgré mon âge qui avance (un peu trop vite à mon goût) et même si j'ai quelques petits soucis d'acouphènes qui m'enquiquinent, je pense avoir l'oreille encore assez juste. Par contre, je pense qu'il doit me manquer un peu d'élasticité dans les tendons. L'arthrose, sans doute. Et aussi plus ou moins une longueur de phalange à chacun de mes dix orteils des mains. Car placer mes doigts correctement sur les cases, tout en appuyant farouchement sur les cordes, tout ça pour essayer d'obtenir un son à peu près digne de ce nom, tout cela s’est en effet révélé un exercice extrêmement périlleux, relevant bien plus du grand écart digital que du grand art musical. A la fin, mes doigts avaient tellement l'air de faire du pole dance en string que pouet-pouet cacahuète, crotte de nez et poil au pied : au bout de 20 minutes j'ai jeté un sort de vilaine sorcière hystérique à la crinière à carreaux, tout en lui claquant rageusement la porte de mon ordinateur au nez, sans oublier de le traiter de bachibouzouk à la crème au passage. Et une entorse du majeur gauche et un ongle cassé plus tard, la guitare de papa est retournée vivre sa vie dans son coin. Et basta. Et elle peut bien me regarder de travers avec son oeil de merlan frit : elle est tout aussi responsable que les Totos des tutos, et je ne lui parlerai plus tant qu'elle ne se sera pas excusée. M'en fous, d’façon pour la musique j'ai la radio, et Classique 21 a une programmation rock'n'roll et années 60 d'enfer entre 19 et 21h. Donc... ça va.

Au fait : vous je sais pas mais moi, la libération du 11 mai, j'y crois moyen bof. En tous cas pour moi. Déjà, faudra voir ce qu'on va encore nous pondre comme contre-ordres d'ici là. Et puis, le monsieur à la télé il a dit : « sauf les personnes âgées, sauf ceux qui ont un handicap lourd et sauf ceux qui ont une maladie chronique ». Il a pas osé ajouter « et sauf les gros », mais j’ai bien vu dans ses petits yeux espiègles qu’il le pensait très fort. Et d'ailleurs, ses camarades de classe se sont empressés de nous le confirmer depuis. Sans pour autant nous préciser d'à partir de quel IMC exactement on pourra jouer. Mais avec le bol que j'ai, je parie que je ne suis pas assez grande. C'est comme pour mes mains. Donc, si je compte bien sur mes petits doigts boudinés : même si à 59 ans 2 mois 17 jours 3 heures et 47 minutes, je ne suis peut-être pas encore tout à fait à considérer comme étant une personne âgée (quoi que), je cumule quand-même au minimum là maladie chronique et le surpoids. Voire le handicap. Ben si. Parce que si on me faisait passer une IRM là, maintenant, tout de suite, je suis sûre qu’on découvrirait avec horreur que mon cerveau malade ressemble à un choufleur de St Omer trop cuit. Au moins d'un côté. Et sans doute à une noix de Grenoble ratatinée de l'autre. Mais grâce à Dieu, tous les cabinets de radiologie sont fermés en ce moment. Alors ça va !

Allez, courage à tous... 😉
Prenez soin de vous, et si vous le pouvez : RESTEZ CHEZ VOUS ! 💕
Je vous embrasse et je vous aime. 😘

Emcy

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