Les Mercredis d'Emcy...
Vers 9h30 ce mercredi matin, je me sentais déjà envahie par une furieuse envie d'aller me recoucher. Je ne sais pas si c'est à cause du brouillard et de la grisaille qui se sont posés sur la ville depuis quelques jours, mais je sentais que cette journée allait me paraître interminable et je me demandais si je tiendrais jusqu'au dernier rendez-vous de l'après-midi. Et puis finalement, j'ai quitté mon bureau à 19h30, après avoir fait tout ce qui était au programme, et même plus. Et heureusement, la journée s'est terminée mieux qu'elle n'avait commencé...
Car c'était plutôt mal parti. Premier rendez-vous du matin : orthodontiste. Mais la demoiselle que je devais accompagner avait décidé qu'elle n'irait pas (allez savoir pourquoi) et m'a accueillie comme on accueille un chien galeux dans un jeu de quilles. Tête rentrée dans les épaules, menton sur la poitrine, regard en dessous et une main en avant pour m'empêcher d'entrer dans sa chambre, elle m'aboie un sympathique : "Ouaich ! j'irai pas à vot' rendez-vous de merde, c'est mort ! Suis pas une pigeonne ouaich, OK ?!"
Mauvaise idée quand je suis fatiguée.
"OK ma poulette. Alors écoute-moi bien, mademoiselle ouaich-ouaich-canne-à-pèche : tu vas aller mettre ton manteau et plus vite que ça, et puis tu vas monter dans la voiture là, qui nous attend sur le parking, pour aller honorer ton rendez-vous. Parce que c'est quand-même toi qui as de la ferraille dans la bouche, c'est pas moi. Alors soit tu bouges tes fesses tout de suite, soit tu te débrouilles pour demander ton prochain rendez-vous et tu iras toute seule. Parce que moi non plus, je ne suis pas une "pigeonne" comme tu dis, et encore moins chauffeur de taxi. OKAY ?!!"
Ouais. Je crois bien que j'ai un peu haussé le ton. Pas très pro, on est d'accord... mais persuasif. Parce que ça a marché : elle a enfilé son manteau en boudant et en traînant les pieds, s'est installée lourdement à l'arrière de la voiture, s'est vissé ostensiblement des écouteurs dans les oreilles, s'est cachée dans la fourrure de sa capuche en nylon sauvage et n'a pas dit un mot durant tout le trajet. Mais elle est venue. Il a encore fallu la recadrer une ou deux fois chez l'orthodontiste (dis bonjour, assieds-toi bien, arrête de souffler, ...), mais les soins ont pu être faits et nous sommes reparties avec un "bon courage" empli de compassion de l'orthodontiste, qui m'a regardée sans aucune envie d'être à ma place.
Repas de midi sur le pouce, moins de 20 minutes montre en main, et c'est reparti pour une radio. Le gamin que j'emmène est en France depuis 3 ou 4 ans et il maîtrise désormais assez bien le français, même si quelques subtilités lui échappent encore. Arrêtés au feu rouge, nous voyons arriver un joggeur qui ne passe pas inaperçu dans son maillot orange fluo ultra moulant, sur lequel on devinerait presque écrit quelque chose comme "regardez-bien-vous-avez-vu-mes-jolis-biscotos ?".
Voyant que mon copilote l'observe aussi, je lui dis : "Dis-donc, quel prétentieux celui-là !"
Il me regarde, stoïque : "Prétentieux ?"
"Oui enfin... quel crâneur, quoi !"
Il fronce les sourcils : "Crâneur ? Je comprends pas... c'est quoi crâneur ?"
"Oui... bon... enfin... Il est fier de lui..."
Il éclate de rire : "Ah oui ! Y s'l'a pète, quoi !"
Je vous l'ai dit : il maîtrise.
Ce mercredi, comme tant d'autres, a ensuite défilé à la vitesse de la lumière mais allez : je vous raconte encore le dernier rendez-vous, ça vaut le détour. Cette fois-ci je vais chercher un jeune pour l'emmener contrôler l'efficacité de ses semelles orthopédiques chez le podologue. Déjà en retard (comme d'habitude), j'attrape sa carte vitale au vol et je le fais grimper vite fait dans la voiture. Ce n'est qu'en arrivant dans la salle d'attente du podologue que je pose la question que j'aurais probablement dû poser un petit peu plus tôt :
"Rassure-moi... Tu as bien tes semelles dans tes chaussures n'est-ce pas ?"
"Euh... ben nan."
Les bras m'en tombent : "Comment ça, ben nan ?? Mais elles sont où ces semelles ?!"
"Ben... j'm'en ai acheté des nouvelles (il me montre fièrement les baskets qu'il a aux pieds) et j'ai filé mes vieilles à mon pote."
"Aaaa...vec tes semelles dedans ???"
"Ben ouais... euh, j'sais pas... ouais, p't'êt' ?"
Retenez-moi ou je fais un malheur.
Inspiration...
Expiration...
Renouvelez l'exercice autant de fois que nécessaire afin de retrouver rapidement votre calme avant d'entrer dans le cabinet du podologue... Lequel s'est bien marré et nous a joyeusement proposé de programmer tout de suite un rendez-vous pour le pote en question, qui ne devrait pas tarder à avoir besoin de ses services s'il marche avec les semelles du premier dans ses godasses d'occasion !
Il fait déjà noir et j'ai passé plus de 30 minutes dans les bouchons. Sainte Patience, priez pour moi...
Retour au bureau. Toujours autant de paperasse en retard (c'est pas encore aujourd'hui que j'y arriverai), des coups de fil à passer, d'autres rendez-vous à programmer... mais finalement la journée se termine plutôt bien : quand je passe devant la salle à manger en partant vers 19h30, les trois enfants attablés près du couloir se précipitent sur moi en criant "Emcyyy", qui pour me faire un gros bisou, qui pour un gros câlin, et les questions fusent : tu pars déjà ? et tu reviens quand ? et pourquoi tu manges pas avec nous ? et regarde j'ai une écharde (que j'ai encore pris le temps d'enlever avec ma pince magique). Deux autres en profitent pour venir se pendre à mon cou plutôt que d'obéir à l'éduc, qui pourtant vient de leur dire de rester assis, avant que je réussisse enfin à atteindre la sortie pour filer et rentrer chez moi... Mais ils n'ont pas idée du bien qu'ils m'ont fait ce soir.
Ils vont finir par avoir ma peau, ces gosses ! Mon coeur ils l'ont déjà... 😉
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