La Saint Valentin



Qu'on soit une victime assumée et consentante des sirènes de la publicité, ou définitivement réfractaire au matraquage commercial : à moins d'être à la fois sourd et aveugle et de vivre sur une île perdue au beau milieu de l'Océan Pacifique ou tout en haut du Kilimandjaro, personne ne peut ignorer que le 14 février, c'est le jour des amoureux !

Et me voilà donc embarquée ce fameux jour à bord de mon petit bolide, un vieux Kangoo grinçant et toussotant de 14 ans et demi d'âge qui arbore fièrement un kilométrage à 6 chiffres et qui a dû être blanc un jour... mais ça je crois que je vous l'ai déjà dit. J'avais réussi à attraper Yohan au vol, entre son retour de l'école et la fin de son goûter, juste avant qu'il ne reparte au foot, pour l'emmener chez l'opticien récupérer les lunettes que nous avions commandées quinze jours plus tôt.

Yohan, le même âge que mon vieux tacot - la comparaison s'arrête là ! - n'est pas très bavard de nature. Avec lui il faut souvent faire la conversation pour deux. Et encore... on n'est pas toujours sûr d'obtenir autre chose que "hmm hmm", "ouais", ou "chépa" comme réponse.

Mais j'étais en forme ce jour-là et plutôt de bonne humeur :
"Alors Yohan, quoi de neuf depuis l'autre jour, comment ça va ?" - "Ca va."
"Et à l'école ?" - "Ca va."
"Et au foyer ?" - "Ca va."

Okééé... Je ne me décourage pas et je poursuis farouchement mon chemin et ma conversation :
"Et au fait : t'es toujours amoureux ?" - "Amoureux ?"
"Oui, amoureux. La fille dont tu m'as parlé l'autre jour : t'es pas amoureux ?" - "Ah. Elle. Ouais."
"Ben dis-donc, t'as l'air motivé !" - "Bof. Ouais. Si. Si, si..."
"Comment elle s'appelle déjà ?" - "Pfff... J'te l'ai déjà dit Emcy : Marina. Elle s'appelle Marina."

Le ton renfrogné commençait malgré tout à s'adoucir et le vocabulaire s'étoffait enfin un peu...
"Ah. Oui. Pardon. Marina. Et... Tu l'as vue aujourd'hui, Marina ?" - "Ben ouais."
"Comment ça ben ouais ?" - "Ben. Forcément. C'est obligé."
"Ah bon ? Obligé ? Pourquoi c'est obligé ?" - "Ben. Tu sais bien !"

J'avais envie de l'embêter un peu et j'avoue que ça ne marchait pas trop mal...
"Ben non, je sais pas, moi. Qu'est-ce que je devrais savoir ?" - "Ben ! A cause de la Saint Valentin ! Enfin voyons Emcy !"
"Ah ouiii, c'est vraiii ! J'avais complètement oublié. Et alors ?" - "Ben et alors quoi ?"
"Et alors : tu lui as offert quelque chose à Marina, pour la Saint Valentin ?" - "Ben... ouais."

Pas très causant mon pépère, mais un léger petit sourire au coin des lèvres qu'il tentait de réprimer tant bien que mal me fit penser qu'il était fier de son petit effet.
"Alors ? Tu lui as offert quoi ? Des fleurs ?" - "Ben ouais."
"Des roses ? Quelle couleur ? Des rouges ?" - "Nan. Des tulipes. Ca coûte moins cher."
"Ah ben oui. Bah... c'est bien aussi des tulipes. Et... c'est tout ?" - "Ben ouais. Pourquoi ?"
"Ben... t'aurais pu lui offrir un petit cadeau, avec les fleurs. Ca se fait... Non ?"

Alors il s'est tourné franchement vers moi, a pris un faux air offusqué, et sans réussir à réprimer le petit sourire qu'il avait toujours au coin des lèvres, Yohan m'a sorti la grande tirade de la scène 2 de l'acte 1 :
"Ben quoi ! Je lui ai déjà donné tout mon amour ! C'est déjà pas mal non ?! Tu veux que je lui donne quoi de plus ?!"

Euh... non, rien... 😄


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