Bienvenue, Petite Stagiaire !





Vous l'avez sans doute remarqué : chaque secteur professionnel utilise un jargon bien à lui, que nous finissons bien malgré nous par nous approprier. Nous utilisons alors à notre tour des mots bizarres et des raccourcis étranges afin de parler la même langue, pour mieux communiquer avec nos collègues. Certains semblent d'ailleurs y trouver un certain plaisir, un peu pervers, vous servant leur charabia bien appris dès qu'ils le peuvent, comme si cela leur octroyait un pouvoir supplémentaire, une intelligence supérieure. A moins que ce ne soit que pour mieux vous embrouiller l'esprit, parce qu'ils ne savent pas trop quoi vous répondre ? Je me souviens d'un ancien responsable, penché vers moi dans une attitude de profonde bienveillance, quasi ecclésiastique, les mains jointes, la mine sincère mais le regard navré, alors que pour la troisième année consécutive je lui demandais des nouvelles de ma demande de formation. Il m'informa alors sur un ton grave que malheureusement la deadline de dépôt de mon dossier était dépassée et que pour cette année c'était hélas trop tard, car les NAO avec le CE et les DP avaient justement eu lieu la semaine précédente. Ah ben ouais. Vraiment. Pas de chance...

Mais c'est la tête de ma stagiaire, l'autre jour, qui m'a rappelé à quel point notre jargon professionnel pouvait être complexe, voire incompréhensible pour les non initiés. Toute jeunette, elle venait d'arriver le jour-même tout droit sortie de l'IFSI de la CRF pour venir faire son tout premier stage de première année. En guise de journée d'accueil, ma jeune EIDE avait pris le train en marche et avait eu droit à une réunion d'équipe sérieusement animée. Vous savez ? De celles où tout le monde parle en même temps mais où personne ne s'écoute. De celles où on ne comprend rien. De celles qui vous filent rapidement la migraine. Et plus la réunion avançait et plus je la voyais hésiter, entre s'accrocher fermement pour y comprendre quelque chose ou lâcher l'affaire et se décrocher la mâchoire en douce...
A sa décharge, je dois reconnaître que le débat un peu houleux auquel elle venait d'assister, saupoudré du charabia incompréhensible qui est le nôtre, n'était pas ce qu'il y avait de plus sympa pour un accueil de premier jour de stage ! Alors après la réunion, j'ai pris un peu de ce temps qui me manque tant pour lui planter le décor et l'aider à décoder les mots barbares qu'elle venait d'entendre sans vraiment les comprendre :

Je lui ai parlé d'Association 1901, d'utilité publique et de financement par le CDN, et je lui ai expliqué ce qu'était une MECS.
Qu'on y rencontrait des ME et des ES, mais qu'il y avait aussi, dans d'autres services, des ET et des ETS. Que nous n'avions pas d'EJE chez nous et que c'était bien dommage.
Qu'il y avait aussi un éducateur scolaire, des maîtresses de maison, un cuisinier, des surveillants de nuit, et bien sûr des stagiaires.
Que chaque structure était sous la responsabilité d'un CSE responsable du service.
Que les placements des enfants étaient prononcés par le JE lors d'une audience qui avait lieu au TE.
Que les services sociaux recevaient des IP, et que certaines familles étaient déjà suivies par un service d'AEMO.
Mais que lorsque la situation devenait trop compliquée, à la fin c'était le juge qui tranchait et qui décidait si l'enfant était en danger.
Qu'à ce moment-là il prononçait une OPP et que l'enfant était alors placé en MECS.
Que parfois c'était seulement un AP sensé être assez court, mais qu'il arrivait que cela se prolonge au-delà de quelques mois et que dans ces cas-là, le placement pouvait se transformer en garde directe ou en garde ASE.
Que nous accueillions des enfants dans le cadre de la protection de l'enfance, mais qu'il y avait aussi des MIE, qu'on appellait depuis peu des MNA, ce qui était plus ou moins la même chose.
Que tous les jeunes devaient partir à 18 ans, mais qu'ils pouvaient parfois rester chez nous un peu plus longtemps, à condition d'obtenir un contrat APJM.
Mais que cela allait bientôt changer, à cause des problèmes de réduction des prix de journée.
Que les jeunes seraient alors dirigés vers des FJT ou des MAJT à leur majorité, en supposant qu'il reste encore des places disponibles.
Qu'il y a quelques années, nous avions encore des placements "Ordonnance 45", mais qu'aujourd'hui ce n'était plus le cas...

Sentant ma jeune stagiaire au bord de l'asphyxie cérébrale, je lui accordai une rapide pause clope avant de reprendre mon monologue et de lui dire :
Que la plupart du temps, nous accueillions donc ici des enfants dans le cadre d'un placement ASE.
Que ces enfants avaient une REF ASE, qui dépendait de l'UTPAS, qui dépendait de la DT, qui dépendait du PEF, qui faisait partie des nombreux services du CDN.
Que sous la responsabilité d'une RTASE, la REF ASE faisait le lien entre l'enfant, sa famille, les éducateurs de la MECS et le juge.
Qu'il faudrait à l'occasion qu'elle me rappelle de lui montrer une LID, ce document qui retrace le suivi administratif de l'enfant depuis le début de son placement.
Que l'OPP du juge pouvait stipuler que des DVH étaient autorisés.
Que les enfants pouvaient alors voir leurs parents et rentrer chez eux le week-end.
Mais que certains enfants n'avaient pas de DVH et ne pouvaient voir leur famille qu'en VM.
Que ces visites-là se passaient alors dans un lieu neutre (par exemple à l'UT).
Que parfois c'était une TISF qui était désignée pour venir les chercher au foyer et assurer le rendez-vous avec leurs parents, mais que la plupart du temps c'étaient les éducs qui s'en chargaient.

"Mais... c'est quoi au juste ton rôle à toi, dans tout ça ?" La question de ma jeune stagiaire était pertinente : au moins une heure que je lui farcissais le crâne avec mes explications, et je n'avais toujours pas parlé de mon métier d'IDE en MECS ! 
"Tu as raison : je vais te raconter en quoi consiste mon boulot. C'est tellement varié que c'est un peu difficile à résumer, mais je vais quand-même essayer d'être claire. Prends des notes !"

Lorsqu'un enfant arrive, il faut vérifier son carnet de santé, s'assurer qu'il n'a pas d'allergies et que ses vaccinations sont à jour, prendre connaissance des traitements en cours. Et puis il faut informer le plus clairement possible nos collègues éducateurs, par le biais du cahier de bord et des fiches de traitement, afin qu'ils puissent prendre le relais en notre absence.
Il faut aussi organiser tous les rendez-vous médicaux dont l'enfant aura besoin : médecin, dentiste, ophtalmo, radiologue, orthodontiste... et je peux te dire que les salles d'attentes des spécialistes et des cliniques des environs n'ont plus de secrets pour moi !
Quand c'est un placement ASE, c'est l'ASE qui se charge de transmettre la demande de CMU à la CPAM, qui va créer le dossier AMELI de l'enfant.
Quand il s'agit d'un placement direct, c'est à moi de le faire.
Par contre quand c'est un AP, il faut se débrouiller avec la sécu des parents, car dans ce cas l'enfant n'a pas droit à la CMU en tant qu'ayant-droit autonome.
Quand les droits ne sont plus à jour, je dois réclamer la nouvelle attestation CMU à l'ASE. Mais j'ai compris depuis longtemps que les REF étaient peu joignables par téléphone. Alors je gagne un peu de temps en appelant directement les secrétaires du PEF, qui soit dit en passant commencent à bien me connaître...
Il arrive aussi que certains enfants soient en ALD, ou bien qu'ils aient un dossier MDPH. Là il y aura encore de la paperasse à faire, je te montrerai ça si le cas se présente pendant ton stage.
Et puis il y a tous les petits chagrins à consoler, les inquiétudes à apaiser, les bobos à soigner, avec tout ce que tu auras appris à l'école d'infirmières, mais surtout avec ton coeur, et si possible avec ton sourire et ta bonne humeur. Et ça des fois, en fin de journée, ben... c'est pas toujours facile !
Et puis il y a tout le reste : les imprévus qui arrivent, les urgences qu'il faut gérer, les questions étranges auxquelles il nous faut répondre du mieux qu'on peut...

Alors ma stagiaire s'est levée.
Elle a baillé discrètement en vérifiant l'heure sur son smartphone.
Elle m'a regardée, un peu perplexe.
Et puis elle m'a souri, à moitié, un peu sonnée : "Eh ben dis-donc ! IDE en MECS... mais quelle VDM ! J'te jure que moi à ta place, j's'rais déjà au bout d'ma vie !"

Bienvenue dans mon monde, petite stagiaire... 😄😄😄



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