Une Certaine Ressemblance...
Un peu patraque et le moral dans les chaussettes, je m'étais emballée dans un plaid douillet façon sushi et je squattais mon canapé depuis déjà un bon moment, ma boîte de mouchoirs, une tisane fumante et la télécommande à portée de main. Par hasard, mon zapping infructueux s'était arrêté sur France 5 qui diffusait le magazine "Allô, docteurs !". Faute d'avoir accès à des formations professionnelles (si quelqu'un peut m'expliquer pourquoi l'infirmière que je suis est systématiquement oubliée, je suis toutouille...) j'apprécie habituellement cette émission. Mais le sujet du jour, "Epices et aromates, quels bienfaits pour la santé ?" ne captivait décidément pas mon attention ce jour-là. Je ne parvenais pas non plus à me concentrer sur le livre que j'avais pourtant envie de lire, et malgré mes efforts pour les garder ouverts, mes yeux fatigués se fermaient irrémédiablement sur ma page Facebook, que je faisais défiler machinalement sur mon téléphone sans même vraiment la lire. Alors, bien calée sur mes coussins moelleux, je me laissai glisser doucement (et sans la moindre résistance) sur le côté, rapidement engloutie dans cette douce torpeur, vous savez ? ce moment où on a l'impression de flotter entre deux mondes, où on entend encore ce qui se passe autour de soi mais où on n'a plus ni le courage ni l'envie de lutter pour rester éveillé...
J'eus vaguement conscience que l'émission médicale se terminait alors qu'un nouveau générique annonçait déjà l'émission suivante : un documentaire animalier sur le zoo de Berlin. Eh ben, rien que ça... De plus en plus lointain, le ton monocorde murmuré par une douce voix féminine m'hypnotisait petit à petit. Cette fois mes yeux s'étaient fermés tout à fait mais, un peu comme dans un rêve, j'entendais encore la douce voix de la dame qui décrivait la vie des animaux abrités dans ce superbe parc que je ne voyais pas. Cependant et malgré ma fatigue, ce qu'elle racontait retenait désormais mon attention et prenait un sens tout particulier pour moi : car je ne pouvais plus m'empêcher de trouver une certaine ressemblance, voire une ressemblance certaine, entre les comportements animaliers qu'elle décrivait si bien et ceux des enfants dont je m'occupe. Je précise tout de suite pour les esprits chagrins que je reste évidemment - et plus que jamais - bienveillante envers les enfants et que c'est ici juste un peu d'humour au 14ème degré ! Mais "L'homme est un animal social" a dit Aristote. Alors, si c'est Aristote qui fait la comparaison... moi, je peux ?
Voici donc que dans un demi-sommeil, les paupières closes et l'ouïe en éveil, les commentaires de la dame m'emportaient en pensées vers mes différents lieux de travail. Et voici ce que j'entendis par intermittence (mais avec un certain bonheur, je l'avoue) du fond de mon semi-roupillon :
... "Ici ils forment un petit groupe, mais dans la nature ce sont des animaux souvent solitaires et les petits apprennent très vite l'indépendance. Les jeunes inexpérimentés sont des proies faciles, mais ici il n'y a pas de prédateur, ces petits peuvent donc se reposer tranquillement."
Tiens c'est marrant, me dis-je, on dirait qu'elle parle d'une maison d'enfant...
... "Ici ils forment un petit groupe, mais dans la nature ce sont des animaux souvent solitaires et les petits apprennent très vite l'indépendance. Les jeunes inexpérimentés sont des proies faciles, mais ici il n'y a pas de prédateur, ces petits peuvent donc se reposer tranquillement."
Tiens c'est marrant, me dis-je, on dirait qu'elle parle d'une maison d'enfant...
... "Ici, un petit doit apprendre à vivre en groupe, à se débrouiller tout seul et à se tirer des mauvais pas."
Et je m'imaginai soudain à la place de l'un de ces gamins, arrivant pour la toute première fois dans une maison d'enfants parce qu'un juge qu'il n'avait jamais vu avait tout à coup décidé que sa famille était toxique pour lui, mais qui ne comprenait rien à cette drôle d'histoire. Les raisons du juge ne sont sans doute pas contestables, mais quel bouleversement pour ces enfants...
... "Tout est fait pour que les petits s'y sentent bien."
C'est vrai, la plupart du temps chacun de nous fait son maximum. Mais je me demande parfois si nous, les adultes, ne nous laissons pas peu à peu bouffer par le quotidien et nos propres problèmes, oubliant que cette maison d'enfant est désormais devenue leur maison, où malgré tout ils devraient pouvoir trouver un peu de calme et de sérénité... ce qui hélas n'est pas toujours le cas.
C'est vrai, la plupart du temps chacun de nous fait son maximum. Mais je me demande parfois si nous, les adultes, ne nous laissons pas peu à peu bouffer par le quotidien et nos propres problèmes, oubliant que cette maison d'enfant est désormais devenue leur maison, où malgré tout ils devraient pouvoir trouver un peu de calme et de sérénité... ce qui hélas n'est pas toujours le cas.
... "Rien ne peut détourner son attention de son repas. Les ours à lunettes sont omnivores, mais ils mangent surtout des végétaux et les fruits et les légumes sont ce qu'ils préfèrent !"
Cette fois je ne suis pas d'accord : mes "ours à lunettes" à moi seraient plutôt friands de pain et de frites, et pour certains c'est même une gageur que de leur faire avaler un fruit ou un légume... mais on essaie !
Cette fois je ne suis pas d'accord : mes "ours à lunettes" à moi seraient plutôt friands de pain et de frites, et pour certains c'est même une gageur que de leur faire avaler un fruit ou un légume... mais on essaie !
... "Les soigneurs surveillent le groupe, car il peut y avoir des conflits
pour établir une hiérarchie, notamment pour l'accès à la nourriture. Mais pour l'instant tout est calme."
Et en une seconde, je me suis retrouvée l'autre mercredi, où en effet c'était un peu la foire dans le réfectoire...
Et en une seconde, je me suis retrouvée l'autre mercredi, où en effet c'était un peu la foire dans le réfectoire...
Après une courte interruption du son - sans doute m'étais-je assoupie
pour de bon à ce moment-là - la voix neutre et monotone de la dame arriva de nouveau
jusqu'à mon cerveau :
... "De l'autre côté de la ville, la journée commence dans le pavillon des girafes.
Les girafes peuvent dormir debout ou couchées, et leur sommeil profond
peut durer au moins 4 heures par nuit. Après des heures dans leur box,
elles ont besoin de se dégourdir les pattes. Certaines sont même très impatientes."
Les yeux toujours fermés, je m'imaginai alors quittant mon bureau pour aller dans un foyer de l'autre côté de la ville, à 5 km de là, chercher un gamin pour l'accompagner à un rendez-vous médical. En général ça leur casse plutôt les pieds (surtout quand on a omis de les prévenir) et certains sont même très impatients (comprenez très énervés)... quand ils ne sont pas encore dans un sommeil profond lorsque je débarque (ce qui arrive parfois, surtout pendant les vacances).
Les yeux toujours fermés, je m'imaginai alors quittant mon bureau pour aller dans un foyer de l'autre côté de la ville, à 5 km de là, chercher un gamin pour l'accompagner à un rendez-vous médical. En général ça leur casse plutôt les pieds (surtout quand on a omis de les prévenir) et certains sont même très impatients (comprenez très énervés)... quand ils ne sont pas encore dans un sommeil profond lorsque je débarque (ce qui arrive parfois, surtout pendant les vacances).
Décidément je commençais à trouver ce reportage assez marrant ! Mais poursuivons...
... "Au début, ça a été très difficile de séparer Dorla assez longtemps des autres pour la nourrir. Aujourd'hui, elle laisse les soigneurs s'approcher pour l'aider. Ce matin, la petite est agitée et refuse de coopérer. Il faut faire vite. Quand la petite girafe se laisse faire, c'est facile de la nourrir. Mais les soigneurs ont de plus en plus de mal avec elle. Elle déborde d'énergie et surtout : elle grandit !"
Eh oui ! Comment ne pas faire immédiatement le rapprochement entre ce que j'entendais et la relation au quotidien des gamins avec mes collègues éducateurs, dont j'admire souvent la patience d'ange (hommage leur soit rendu) !
Eh oui ! Comment ne pas faire immédiatement le rapprochement entre ce que j'entendais et la relation au quotidien des gamins avec mes collègues éducateurs, dont j'admire souvent la patience d'ange (hommage leur soit rendu) !
... "Contrairement à ce qu'on pourrait croire, un si jeune animal peut faire beaucoup de saletés dans sa cage !"
Là encore, je pense que mes collègues auraient beaucoup de choses à nous dire sur la notion complexe, voire mystérieuse qu'ont les enfants du rangement de leur chambre, dont en plus pour certaines, la configuration ne cesse d'être modifiée pour mieux embrouiller le soigneur. Euh pardon : l'éducateur !
Là encore, je pense que mes collègues auraient beaucoup de choses à nous dire sur la notion complexe, voire mystérieuse qu'ont les enfants du rangement de leur chambre, dont en plus pour certaines, la configuration ne cesse d'être modifiée pour mieux embrouiller le soigneur. Euh pardon : l'éducateur !
... "L'oryctérope du Cap (oui, ben vous ferez comme moi, hein ? Google est votre ami !) est un mammifère nocturne, mais il lui arrive de sortir dans la journée. Son
corps est parfaitement adapté à son mode de vie et sa longue queue lui
sert de contrepoids."
Au lieu de rire bêtement, remplacez plutôt le mot "queue" par le mot "jambes". Maintenant, ayez une pensée émue pour moi lorsque, assise depuis trois quart d'heure dans une salle d'attente bondée, je dois sermonner un ado râleur et désabusé, en pleine croissance, qui se vautre mollement dans un équilibre improbable sur sa chaise, et dont - bien que ses fesses soient toujours en contact avec la dite chaise - les pieds arrivent quasiment au milieu de la pièce, obligeant ainsi les autres patients à faire un détour pour éviter de tomber. La métaphore du contrepoids prend soudain tout son sens... non ?
Au lieu de rire bêtement, remplacez plutôt le mot "queue" par le mot "jambes". Maintenant, ayez une pensée émue pour moi lorsque, assise depuis trois quart d'heure dans une salle d'attente bondée, je dois sermonner un ado râleur et désabusé, en pleine croissance, qui se vautre mollement dans un équilibre improbable sur sa chaise, et dont - bien que ses fesses soient toujours en contact avec la dite chaise - les pieds arrivent quasiment au milieu de la pièce, obligeant ainsi les autres patients à faire un détour pour éviter de tomber. La métaphore du contrepoids prend soudain tout son sens... non ?
Sans le savoir, la dame à la voix suave m'avait définitivement remonté le moral et son ultime commentaire me sortit pour de bon de ma rêverie :
... "La vie dans le parc est toujours pleine de surprises ! Il y a une foule de choses à faire et à voir, mais tant qu'il ne sait pas grimper, ce petit ferait mieux de rester près de sa mère..."
... "La vie dans le parc est toujours pleine de surprises ! Il y a une foule de choses à faire et à voir, mais tant qu'il ne sait pas grimper, ce petit ferait mieux de rester près de sa mère..."
La vie en maisons d'enfants aussi est toujours pleine de surprises... et il y a une foule de choses à faire, à voir et à apprendre, pour et avec ces enfants qui n'ont pas demandé à être là, mais qui sont là quand-même. Et heureusement, car sinon je m'y ennuierais ferme ! Alors même si parfois je râle (un peu), j'ai toujours autant de plaisir à prendre soin de ces chers petits, et je continuerai à le faire avec joie aussi longtemps que je le pourrai 😉.
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