Se Rendre à l'Evidence







On a tous été ados un jour, pas vrai ? Je ne sais pas trop comment ça s'est passé pour vous mais en ce qui me concerne, j'avais une réelle fascination pour les mots inconnus, nouvellement appris, lus par obligation ou entendus par hasard. Sitôt ces mots nouveaux enregistrés dans ma petite cervelle encore toute fraîche, je m'arrangeais pour les mettre systématiquement à toutes le sauces dès que j'en avais l'occasion. A condition d'en avoir bien compris le sens, bien entendu... ce qui n'était, hélas, pas toujours le cas.

Laissez-moi vous raconter un petit souvenir personnel, gravé de façon indélébile dans ma mémoire : un jour, lors d'une dictée en cours de français - je devais avoir 14 ans, peut-être 15 - j'avais eu à écrire ce mot nouveau, inconnu et extraordinaire : "excrément".  Si j'avais vaguement saisi le sens un peu scabreux du terme, je n'avais compris que trop tard - et à mes dépends - qu'il était à manier avec précaution et parcimonie. Car en réponse à une réprimande maternelle, probablement justifiée mais mal acceptée par l'ado révoltée que j'étais à cette époque mémorable, je m'étais crânement autorisée à rétorquer du tac au tac ce mot jubilatoire sur un ton insolent, ce qui m'avait valu la plus magistrale gifle de toute ma vie, qui me laisse aujourd'hui encore un souvenir cuisant sur la joue gauche doublé d'un sentiment de honte d'avoir seulement eu l'audace de répondre cela à ma mère !
Alors parfois, quand ces petits adultes en devenir qui nous sont confiés s'approprient certains mots ou expressions dont ils déforment le sens disons... à leur manière, je souris avec tendresse au souvenir de mon insolence, très probablement oubliée depuis longtemps par ma mère mais qui m'a marquée à tout jamais (pardon maman) et j'en profite pour les corriger avec bienveillance.

Ainsi l'autre jour, lors du trajet en voiture entre le foyer et le Centre Hospitalier, Yohan (16 ans) qui m'affirme très solennellement (j'ai oublié dans quel contexte) qu' "il faut bien se rendre à l'éventualité".
Je souris et je lui explique gentiment la différence entre éventualité et évidence. Dépité de ne pas avoir produit sur moi l'effet "bluff" escompté, il change soudain de sujet tandis que nous passons devant la fac de médecine, où il aperçoit deux jolies jeunes filles qui traversent la rue juste devant nous :
"Eh ! Mais c'est quoi ici ? Ah c'est ça, la fac de médecine ? Ahhaaah, très intéressant ! (sourire niais). Et y'a d'la belle meuf en plus ! P... ! Emcy, t'aurais pu t'arrêter ! (rire bête). Eh ! Emcy, ça doit faire beaucoup d'études, les médecins ? Au moins 11-12 ans ?! Ah ouais, ça fait long quand-même ! Mais bon... après ça gagne bien, non ? Je crois pas que j'ai envie de faire des études comme ça moi, c'est trop long ! Mais en tout cas j'espère bien qu'un jour je vais gagner ma vie, correctement ! Pas du tout envie de me retrouver au RSA comme un Chabert moi, c'est... une... évidence !"
Eclats de rire. A première vue ma petite explication a porté ses fruits. Mais voilà qu'il reprend, blasé :
"Naaan, mais sinon y'a un autre moyen tu sais, beaucoup plus simple : faut vendre."
Moi, naïve : "Ah ben oui c'est vrai, t'es en BEP Vente, toi ! C'est bien aussi ça, les métiers de la v..."
"Nan mais... t'as pas compris Emcy : y faut vendre..."
Devant son air goguenard je percute enfin et comprends où il veut en venir :
"Ah... OK, je vois. Bon alors écoute-moi bien : cette option-là tu l'oublies tout de suite, ça vaut mieux pour toi. Ce genre de "vente" est interdite par la loi je te rappelle, tu le sais très bien d'ailleurs. Et dégourdi comme je te connais, tu vas juste te retrouver en tôle. Et ça mon grand, c'est pas une éventualité : c'est une évidence !"

Je pense qu'il a saisi la nuance... 😄














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