Une Rencontre




Dans son lointain pays d'Orient, il était une fois un jeune homme fier et courageux (son père), qui rencontra une jeune femme tellement belle (sa mère), qu'il en tomba très amoureux et qu'il l'épousa. Mais ce mariage ne plaisait pas "aux Autres". "Les Autres" étaient très en colère, parce que le jeune homme fier et courageux et la jeune femme si belle n'étaient pas de la même caste. Il faut vous dire que dans son lointain pays d'Orient, cela ne se fait pas d'épouser une femme d'une autre caste, cela n'est pas possible. Alors "les Autres", fous de colère, ont tout fait pour le détruire, ce beau mariage d'amour. Ils ont menacé les enfants. Ils ont torturé sa mère. Et puis un jour, ils ont tué son père...

Terrorisée par les menaces qui pesaient sur son fils aîné, et voulant à tout prix protéger son enfant chéri, sa mère a parlé avec une autre mère, qui avait elle aussi un fils, qui lui avait un ami, qui connaissait quelqu'un, qui connaissait un passeur. Alors sa mère a vendu la seule chose qu'elle possédait, ses deux vaches, dont jusque là elle vendait le lait au marché pour faire vivre leur petite famille. Elle les a vendues pour trois fois rien, elle a rassemblé comme elle a pu tout l'argent qui manquait encore, et puis elle a donné tout cet argent au gars, qui connaissait quelqu'un, qui connaissait le passeur. Par amour pour son enfant, par peur aussi, pour sauver son fils, pour qu'il ait une toute petite chance d'être heureux, loin de la colère et de la folie "des Autres"...

Alors, à 14 ans à peine, son maigre baluchon sur le dos et le coeur en mille morceaux, il a obéi à sa mère, il est parti sur les chemins de l'exil, pour fuir la colère et la folie "des Autres", sans trop savoir où il irait, laissant derrière lui sa mère bien-aimée, sa petite soeur et ses deux frères, sans savoir si seulement il les reverrait un jour...

Son chemin vers la France a duré plus d'un an et n'a pas été de tout repos. Il a voyagé dans des conditions épouvantables. Quelquefois en camion. Le plus souvent à pieds. Il a eu faim et soif. Il s'est parfois senti très sale. Clandestin, il a travaillé dur pour un salaire de misère, quand il était payé. Il a été séquestré. Il a été lourdement frappé à la tête. Il s'est sauvé. Il s'est caché. Il a cru mourir. Et puis, un jour, avec quelques compagnons d'infortune, il est monté dans un train. Et puis il est arrivé en France...

C'était il y a trois ans. Comme beaucoup d'autres jeunes migrants qui sont déposés, quelque part, n'importe où, de préférence dans une grande ville, il a d'abord été accueilli dans une maison d'enfants, et puis une autre, avant d'en changer encore, pour finalement arriver là où je travaille. Il vient tout juste d'avoir 18 ans et sera bientôt orienté vers un foyer de jeunes travailleurs. A 18 ans les jeunes français rêvent d'indépendance et de liberté. Pour les jeunes migrants c'est le début de nouvelles galères... 

Mais il y a quelques semaines, son état de santé s'est subitement dégradé. Il a été hospitalisé, et c'est seulement à sa sortie que j'ai fait sa connaissance, il y a quelques jours à peine. C'est à ce moment-là, dans cette langue si difficile pour lui qui ne ressemble en rien à la sienne, qu'il m'a (un peu) raconté son histoire. Avec beaucoup de pudeur. Atténuant les difficultés vécues. Baissant la tête, souvent. Laissant de longs silences, comme pour laisser passer des souvenirs trop douloureux. Taisant les détails les plus sordides. Remerciant avec infiniment de reconnaissance toutes les personnes qui l'ont aidé sur sa route. Remerciant aussi ce Dieu qui veille sur lui, sans répit, depuis qu'il a quitté son lointain pays d'Orient. Il en est certain, parce que sa mère l'a confié à Lui. Retenant avec peine son émotion en me montrant timidement la seule photo qu'il a de sa maman avec ses frères et sa petite soeur. Mais toujours, toujours avec un éblouissant sourire et des étoiles qui brillaient dans ses yeux, à travers les larmes qu'il essayait de retenir, du mieux qu'il pouvait...


Il y a les centaines de milliers d'exilés, dont on te parle tous les jours aux infos mais dont tu ne sais rien. Et puis un jour, il y a celui que tu rencontres, et qui te parle de lui...



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